dimanche 12 janvier 2014

Paradoxes

Gravure d' M.C. Escher - Mains se dessinant - 1948
Je voulais une belle illustration avec un personnage tiré par les bras d'un côté et de l'autre, comme écartelé, mais j'ai pas trouvé, donc ce sera ça.


Il y a quelques jours, je lisais un article de Alva Howl sur son blog, dans lequel elle parlais de sa façon de voir les gens en lien avec sa sociophobie et TAG, et je me suis dit « elle a tout compris de comment je vois les choses ». C'est ce genre de coïncidence dans nos pensées qui me fait dire qu'elle me connait mieux que personne d'autre.

Je me suis donc posé la question – comment définir la frontière entre l'empathie et la misanthropie ? L'hypersensibilité et l'insensibilité ? Et de fait : la peur des gens et la haine des gens ?

Hypersensible / insensible

Je suis quelqu'un d'hypersensible, c'est à dire que mes émotions n'ont pas de juste milieu et j'absorbe les émotions des personnes qui m'entourent.
Ça se traduit par: tu pleures, je pleure; tu ris, je ris; tu es énervé, je suis énervé; tu as peur, j'ai peur; et ainsi de suite.
Je suis ce qu'on appelle (enfin ce que j'appelle) une éponge émotive.

Mais en mode plus mille. Il m'arrive de pleurer pour des situations certes tristes mais acceptables, ou de rire à gorge déployée pour quelque chose de tout juste drôle.
Les injustices me rendent folle de rage et encore une fois déclenchent les larmes. De même je n'ai quasiment aucune résistance à la moquerie, malgré mon auto-dérision (car j'en ai malgré tout), et la critique, même «gentille».
La dernière que mon petit-ami m'a faite, qui pourtant n'était pas dit de façon méchante ni même déplacée – mais dite avec ce ton de sarcasme qui lui est propre et auquel il ne réfléchit même plus – a déclenché une crise d'angoisse que j'ai eu du mal à lui expliquer par la suite.

Mais il m'arrive de tomber dans l’extrême inverse: l'insensibilité. Parfois je me montre d'une neutralité absolue, parfois même mes émotions vont aller à l'inverse de ce qu'elles sont sensées être, je vais être profondément triste dans un moment heureux, je peux ne rien ressentir alors que quelqu'un essaie de me faire rire – même quelque chose qui déclencherais l'hilarité en temps normal peut me laisser totalement de glace – il ne se passe rien en moi, absolument rien.

Parfois même j'éprouve un dégoût profond lorsque je vois quelqu'un en souffrance. Je me mets dans l'instant à haïr la personne qui est en face de moi, à la mépriser complètement. Je n'y réfléchit pas, ce mécanisme est de fait automatique, et ensuite c'est moi que j'en viens à haïr, je suis sure que vous saisissez pourquoi.

Empathie /Antipathie

On en vient donc à cela : je suis à la fois un être empathique et misanthrope. Ce qui semble assez impossible, mais en moi ces deux caractères se côtoient et surviennent l'un après l'autre, parfois se superposent.

Comme je le disais d'un côté la souffrance des autres m'attriste et peut également me dégoûter. De même que leur joie peut aussi bien m’emporter ou me dégoûter également.

Tout est affaire de dégoût, soit les émotions m’entraînent avec elles, soit elles me dégoûtent et ça n'est pas loin d'un état sociopathique. Il y a des jours où je ne ressens rien, ou pire, ou voir les autres me mets dans un état de haine.

Peut importe que j'aime ou non ces autres, c'est ce qui rend la chose difficile à supporter, car après cet instant de haine et de dégoût, je me sens coupable et misérable, car les gens autour de moi – que je les aime ou non – ne le méritent pas.

Ce paradoxe haine / amour est profondément ancré en moi et provoque un malaise inévitable.


Peur des autres / haine des autres

Mais ce paradoxe n'est-il pas lié à ma peur des gens et des contacts sociaux? Lequel est l'origine de l'autre?

La peur des contacts sociaux induit un manque de confiance en moi, mais aussi un manque de confiance aux autres, mais plus encore il induit une haine de moi et une haine de l'autre, du mépris.

C'est une chose que j'ai toujours pensé, que je sais depuis longtemps – mon mépris de l'autre est tout aussi présent que mon empathie naturelle. C'est aussi ce qu'expliquait Alva, et ses paroles ont résonné en moi et m'ont rappelé ce que je sais depuis longtemps: je me méprise autant que je méprise le genre humain.

Mais dans le même temps j'ai foi en l'humain, et je l'aime profondément, de même que je suis narcissique et que je m'aime.

D'autre part, j'ai de fait un manque total de confiance, d'où la peur, l'angoisse, dénommée par le TAG et la sociophobie, tout est susceptible de me blesser, tout est dangereux, ça va du contact oculaire à la prise de parole, en passant par une peur profonde des choses et des événements. Pour exemple, marcher sous un échafaudage est une torture, se déplacer dans la foule est une torture, marcher seul dans la rue le soir est une torture.

Pour illustrer ça je ne vois rien de mieux pour l'instant que la scène des gnous dans le Roi Lion, la foule, c'est cette horde de gnous qui ne se préoccupe pas de savoir si vous allez être piétiné ou non - physiquement comme moralement.

On en devient paranoïaque, on en vient à haïr les autres avant même de les avoir rencontrés pour le mal qu'ils pourraient nous faire. Cette haine, c'est la peur de l'autre, le sentiment inaliénable qu'ils nous sont néfastes.
Quand bien même on a conscience qu'ils peuvent être tout; qu'ils peuvent être notre plus précieux «bien» dans la vie, et que la perspective de les perdre ou de ne pas les avoir connu nous est insupportable.

C'est d'ailleurs ce qu'il y a de plus dur dans le fait de quitter le chemin de quelqu'un qui a compté à nos yeux, parce que d'un côté il est très difficile de se rendre compte qu'ils n'étaient pas ce qu'on pensait qu'ils étaient, à savoir des personnes qui nous font du bien – dans certains cas. D'autre part, la séparation – amoureuse comme amicale – est difficile parce qu'on a peur, peur de perdre ce menu lien social, peur de ne plus pouvoir en retisser un. Peur d'être isolés, alors même qu'on a peur d'être entourés.

Mais toute cette peur de l'autre comme de la solitude implique toujours la nature du moi: confiance ou manque de confiance, amour ou haine – de soi comme de l'autre.

Quand je me regarde dans le miroir, je ne sais jamais si ce que j'y voit me satisfait ou non, je m'aime autant que je me hais, il en va de même à l'encontre de tout ce qui n'est pas moi.

Empathiquement asociale

Le problème avec tous ces paradoxes c'est qu'ils ne peuvent pas coexister, ça implique un combat sans répit de l'un contre l'autre. Mon cerveau est sans cesse tiraillé entre ces paradoxes, j'en suis venue à penser que ça n'est pas sans lien avec les troubles dont je fais l'objet.

Dans la sociophobie mon impression est que tout est une question de paradoxes, tout se mélange, tout est comme deux forces qui s'annulent et forcent à l'immobilisme.

Si je ne sais pas clairement définir ce que je suis – hypersensible / insensible, empathique / misanthrope, narcissique / en sentiment d'infériorité – comment puis-je décemment me définir socialement et me définir par rapport aux autres?

Ce rapport est constamment changeant, tantôt je me sens inférieure, tantôt je me sens supérieure, à part – mais de ces deux extrêmes il en ressort que je suis toujours en décalage par rapport à l'autre, que je les craigne ou que je les méprise, je suis toujours «en dehors», pas à ma place. Asociale, en somme.

Disons que le caractère social est un cercle, la société au sens large est un cercle – quel que soit notre sentiment – infériorité / supériorité - par rapport à ce cercle, on est de toute façon en dehors du cercle. Quand on pose un pieds dans ce cercle, parce qu'on est dans l'obligation de le faire pour survivre – parce qu'il n'y a pas d'autre cercle disponible et que notre survie dépend de ce cercle – on ne s'y sent de toutes façons pas à l'aise, pas en sécurité et pas à notre place.
Parce que ce n'est pas de ce cercle là dont on a besoin ni dont on a envie. De fait un réflexe atavique de recul se met en marche, il tire un signal d'alarme qui force au repli hors du cercle.

Ce qui est sûr c'est que l'envie et le besoin d'entrer dans ce cercle est aussi puissant que l'envie et le besoin de s'en éloigner.
C'est le paradoxe ultime, de fait on est contraints à l'immobilisme sur la ligne de ce cercle, avec deux liens qui nous tirent à force égale d'un côté comme de l'autre de cette ligne.

Le tout, la clé du problème, réside en ce choix: couper l'un ou l'autre des deux liens, ou du moins détendre l'un suffisamment pour pouvoir vivre d'un côté ou de l'autre de cette ligne, - et donc inévitablement abandonner une partie de soi.
Le fait est qu'abandonner une partie de soi ne se fait pas sans douleur, et là est la peur ultime, en plus de la peur de faire le mauvais choix.


L'incompréhension de l'autre

Pour beaucoup cela semble très simple, ils sont déjà dans ce cercle, leur moi entier est dans ce cercle, ils n'ont pas besoin de se demander s'ils doivent choisir, s'ils doivent perdre une partie d'eux. Ils ne comprennent donc pas ce qu'il y a de si dur, pourquoi on ne peut pas tout simplement entrer dans le cercle le plus simplement du monde. Ils n'ont pas conscience de ces paradoxes.

Ils ne comprennent pas pourquoi c'est un combat perpétuel à l'intérieur de notre esprit, ils ne comprennent pas que ce n'est pas aussi simple, pas aussi évident.

Cette incompréhension de l'autre parachève de nous enfermer dans la peur et la haine de l'autre. C'est peut-être en fin de compte parce que nous avons conscience que les autres, les « normaux » ne nous comprennent pas que nous en venons à les mépriser – quand bien même nous les aimons et voulons plus que toute chose entrer dans leur «normalité».


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Merci de m'avoir lue jusqu'ici, et j'espère vous avoir éclairés sur tout ça, si je publie ces pensées c'est justement parce que j'ai un besoin vital que les autres – donc vous compris – comprennent. Parce qu'avoir l'assurance d'être comprise – et donc de ne pas être injustement jugée et de ne pas souffrir les «conseils» qui vous semblent appropriés mais ne le sont pas – c'est une clé essentielle de ma guérison. J'en ai la certitude absolue, tout doit commencer par l'acceptation des autres de ce que je suis et de mon fonctionnement, parce que les jugements, les faux-conseils (partant toutefois d'une bonne intention, j'en ai conscience), empirent les choses.


Pour finir, pour illustrer mon propos au sujet des "faux-conseils", je vous conseille de prêter une attention toute particulière à cela:

Si les conseils donnés aux troubles mentaux étaient appliqués aux troubles / maladies physiques:


Traduction: "Conseils Utiles" - "Je sais que tu as des problèmes d'intoxication alimentaire, mais au moins tu pourrais faire un effort." - "Tu dois juste changer ton état d'esprit. Tu te sentira mieux après." - "Tu as essayé... tu sais... de ne pas avoir la grippe?" - "Je ne pense pas que ce soit une bonne chose que tu prennes des médicaments tous les jours juste pour te sentir normal. Tu n'es pas inquiet que cela te change de qui tu es vraiment?" - "C'est comme si tu n'essayait même pas." - "Bien, être allongé dans ton lit ne t'aide évidemment pas. Tu dois essayer quelque chose d'autre."

Il y en a pléthore du même genre.

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Pour finir, désolée de ne pas venir écrire plus souvent, je suis un peu dans une phase: pas le courage, envie de rien, etc...

Pour vous faire vite fait un topo de comment je vais: et bien ces derniers mois:
Mon père s'est fait virer de chez moi - ce qui est une bonne chose concrètement - je me suis disputée avec mon frère et je lui ai dit des mots très durs que je ne pensais pas - un peu comme s'ils ne lui étaient pas adressés, et du coup j'ai fait devant lui et ma mère une grosse crise d'angoisse qui m'a mise vraiment KO - tout ça en décembre (pour mon frère c'était le 25, déjà que j'aime pas noël là j'étais servie).

Et je suis dans une phase de neutralité absolue depuis ces deux derniers mois, et c'est marrant qu'Alva ait exposé ça aussi dans son article, tout ce que disent mes proches (et moins proches sur le net) m'énerve au plus haut point et exacerbent ce que je disais plus haut: le mépris que j'ai parfois des autres. Encore que là depuis deux trois jours, ça remonte un peu, mais sans plus.

Je ne suis pas nécessairement malheureuse, je vous rassure, mais je suis dans ce genre de période où on ne veut rien, on ne veut voir personne, enfin bref, un petit moment de déprime induit non seulement par la période hivernale mais aussi par les aléas que j'ai eu à subir ces derniers temps, mais rien de vraiment grave. 
Je manque surtout juste d'un peu d'enthousiasme à tenir régulièrement ce blog pour l'instant, mais ça va revenir, ne vous en faites pas. ;)

Des bisous!

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