Tout d'abord, un petit mot sur l'auteur
Camille Leboulanger est un auteur français âgé de 20 ans. (Vu la teneur de ce roman j'imaginais un auteur naviguant plus vers la trentaine voire début de la quarantaine, comme quoi, je me suis fait avoir par le préjugé selon lequel sagesse et âge sont intimement liés - ce livre est la preuve que tout ça c'est des conneries).
Il écrit depuis longtemps textes et poèmes, et a été publié une première fois pour la nouvelle "78 ans", parue dans le recueil Ceux qui nous veulent du bien , aux éditions La Volte, en 2010 à l'occasion d'un concours.
Enfin La Nuit est son premier roman, paru en aout 2011 aux éditions l'Atalante.
Enfin La Nuit
Enfin La Nuit est un petit roman (192 pages) qui part d'une idée simple: imaginer le comportement d'un homme et d'une femme face à une catastrophe inconnue.
En l’occurrence, dans ce roman une catastrophe (probablement d'origine humaine), provoque une réaction qui amène à un jour perpétuel. Le ciel devient jaune et très chaud, et la nuit ne tombe plus, voilée par ce ciel lumineux.
Comme le dit lui-même Camille Leboulanger, l'écriture de ce roman à été largement influencée par La Route de Cormac MacCarthy, chose qui frappe aux yeux quand on le lit. Bien qu'ils soient très différents dans le détail.
Pour rappel, j'avais écrit une critique sur le film adapté du roman de MacCarthy, où j'y disais déjà qu'il y avait un lien indéniable entre ces deux récits. A lire ici.
Enfin La Nuit, comme La Route, puise dans les codes du Road Movie sur fond de SF post-apocalyptique. Dans l'un comme dans l'autre il s'agit avant toute chose de se centrer sur l'humain et non sur la catastrophe elle-même.
Comme dans La Route, on ne sait quasiment rien de ce qui provoque la catastrophe, on ne peut qu'observer les comportements des gens, bien qu'il y ai des indices (un en l'occurrence) qui permettent de se faire une idée sur la question.
Exemple donné en guise de 4ème de couverture:
"Le ciel était embrasé. On avait bien donné des explications à la télévision, histoires de guerres, de catastrophes, d'ennemis, d'alliés. Des noms, d'autres, beaucoup de noms qui se croisaient sans grande cohérence entre eux. Alors, du coup, les gens étaient dans la rue, le regard plongé dans le feu du ciel. Le grand embrasement. Ravage. La nuit était plus claire que le plein jour. Les lampadaires devenaient inutiles. Le ciel s'était embrasé le 23 janvier, sur le coup de 22h30. Et si, sur le moment, personne ne comprenait vraiment ce qu'il se passait, il faudrait bien admettre, une semaine plus tard, que la nuit ne retomberai plus jamais."
Voilà tout ce qu'on sait de cet évènement initial, et on n'en saura jamais plus. Et on ne cherche au final pas à savoir, ce n'est pas important. Comme je le disais dans ma critique de La Route - et ça vaut aussi pour ce roman - la raison initiale s'est produite, c'est fait, inscrit dans l'histoire, et savoir le pourquoi et le comment n'a plus d'importance. Ce qui reste, c'est la survie, la façon dont dans cet environnement vont agir les survivants.
On peut se demander pourquoi un jour perpétuel à décimé les trois quarts de la population? C'est dit aussi très rapidement: entre vague de suicide, émeutes, et assassinats en chaine, beaucoup de gens sont morts à cause du ciel qui semblait annoncer la fin du monde.
Mais tout ça n'a pas réellement d'importance, les personnages sont des gens comme vous et moi, pas des scientifiques, pas des savants, juste des gens qui ont subit cet évènement et essaient de vivre avec.
Ces personnages, ils sont présentés en deux parties rendues distinctes par le style utilisé par l'auteur. Le roman s'ouvre à la première personne sur le personnage d'Etienne, un flic qui fait la rencontre de Sophie, peu de temps après l'embrasement du ciel.
Plus loin, l'auteur nous présente à la troisième personne le personnage de Thomas, dont on comprend très vite qu'il partage beaucoup de points communs avec Etienne, principalement leur fonction: policiers tous les deux.
Le second lien entre ces deux personnage tient en un prénom: Sophie. Thomas fait également la rencontre d'une Sophie - pas la Sophie que connait Etienne - une adolescente laissée abandonnée dans sa ferme par ses parents - morts tous les deux - avec qui il va prendre la route à dos de vélo.
S'ensuivra un récit de ce voyage sous le ciel embrasé, parsemé de rencontres qui influenceront la nature des personnages, leur rapport aux autres et au monde.
C'est un roman qui parle de l'humain, et de solitude. Comme je le disais plus haut, il fait preuve d'une grande sagesse, il nous amène à réfléchir sur nous, notre monde et notre société.
C'est le but que la Science Fiction avait au départ, parler du présent, de l'actualité sociale, économique, politique, ou écologique, parler des enjeux actuels, sous couvert d'un cadre futuriste et/ou exceptionnel.
Fareinheit 451 de Ray Bradbury, Le Monde des A de Von Vogt, ou bien Dune de Franck Herbert en sont des parfaits exemples.
En cela la Science Fiction se rapproche beaucoup du genre de la fable, qui permettait sous couvert d'un récit fantastique et surréaliste de critiquer la société contemporaine à l'auteur.
Ici, avec Enfin La Nuit, c'est ce que nous avons. J'y vois une critique d'un monde fait d'individualisme, de consommation et de possession.
Ce roman parle de trouver "de l'espace", une certaine forme de liberté loin des contraintes liées à la vie en société, loin des contraintes de propriété.
L'absence de nuit donne paradoxalement aux personnages une liberté qu'ils n'avaient pas jusqu'alors, c'est ce que parvient à comprendre Thomas.
"Je crois que j'ai compris quelque chose. Je crois qu'on étais tous malades de solitude, à cause des autres. On était malades des autres. Malades de trop, même si on ne se l'avouait pas. Malades faute d'espace. On avait besoin de respirer. De faire de la place pour pouvoir bouger. Pour pouvoir choisir son point de vue pour regarder la mer. Pour pouvoir choisir sa voiture, sa maison, sans qu'on nous demande un chèque, une carte bleue, un crédit. On n'en pouvait plus, et on ne le savait pas. Alors le ciel est devenu jaune. Et on a respiré un grand coup. [...] Toujours est-il qu'on s'est retrouvés seuls. Éparpillés. Et qu'on a eu de l'espace, et surtout du temps. Du temps pour faire des choses, pour ne rien faire, pour commencer, pour finir, pour commencer sans finir. Je suis sûr que, quelque part, il y a un homme qui écrit enfin le livre qu'il a toujours voulu écrire, peut-être après s'être débarrassé de sa femme et de ses enfants, que quelqu'un d'autre est enfin parti pour le voyage solitaire qu'il ou elle a toujours voulu faire et qu'il ou elle n'aurait jamais fait avant."
Ce qu'essaie à demi-mot de dire Thomas c'est qu'avant l'embrasement du ciel on n'avait pas le temps de se chercher, de se trouver, de se réaliser pleinement, pas plus qu'on n'en avait la liberté ni la place.
C'est un discours qui bien que légèrement naïf, est très intéressant à écouter, et à tourner dans sa tête, il nous force à l'introspection et à se demander: "est-ce que c'est vrai?", "est-ce que je suis pleinement moi-même?".
Personnellement, la réponse est négative, et je peux vous dire que ça amène une sacré prise de conscience. La nuance qu'il faut prendre avec ce discours c'est que même si on ne peut pas évoluer avec une totale liberté dans la société actuelle, on peut s'approcher au maximum de cet idéal.
Comme les deux extraits postés ici en témoignent, tout cela est dit avec un style sobre, épuré, simple, qui fait échos au discours prononcé tout au long du récit. Les idées et les émotions qu'écrit Camille Leboulanger sont exprimées avec suffisamment de simplicité pour qu'on puisse les comprendre pleinement et les assimiler, le message est clair, et l'émotion délivrée nous transperce de plein fouet.
Je ne veut pas vous spoiler l'histoire donc je ne parlerais pas explicitement des scènes qui me viennent en tête, mais sachez juste que ce roman est troublant, les personnages attachants, et l'émotion qu'il délivre est honnête, simple, et glaçante - il est émouvant, très émouvant.
Pour vous donner une idée, je note ce roman à 9/10.
Il souffre peut-être de quelques défauts, mais à dire vrai, je ne les ai pas vu, et surtout je m'en fiche, j'ai pris ce que ce roman avait de meilleur à donner, et dieu que c'est bon.
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