Il s'agit du film Nos Femmes, réalisé par Richard Berry d'après la pièce de théâtre du même nom, produit par Thomas Langmann, dont la sortie au cinéma est prévue pour le 29 avril 2015.
J'ai été choquée par cette bande annonce. Déjà le titre du film et les premières images ne présageaient rien de bon. "Nos femmes" ça sonne sexiste, dès le départ, ne serait-ce que par l'utilisation du possessif, qui ramène la femme à un objet que l'on possède.
Alors bien sûr, la langue française n'a pas de féminin pour "mari", je le concède. Petite parenthèse: je déplore que le mot qui désigne la personne de genre féminin soit le même que celui qui désigne son statut d'épouse, un peu comme la représentation de l'idée selon laquelle l'avenir d'une femme est d'être l'épouse d'un homme, aucune barrière n'est faite entre la femme et l'épouse dans ce terme.
Mais reste que dès le titre on a déjà une notion de clivage homme / femme.
On a ensuite la première image: des hommes qui font des trucs d'hommes entre hommes, sans leurs femmes. Bah oui, parce que les femmes, c'est chiant, c'est de la contrainte, faut bien se détendre entre bonhommes de temps en temps. (Notez que je me facepalmerai également si les rôles étaient inversés).
Puis vient le motif de mon indignation : "j'ai tué ma femme! (saperlipopette)".Tout le propos énnoncé par cette bande annonce est: "jusqu'où peut-on aller par amitié".
Le meurtre de cette femme est secondaire, banalisé, invisible. Seul compte le "doit-on ou non excuser notre ami et lui fournir un alibi".
Et c'est un film comique.
Rappelons quelques petites choses
Tuer sa femme dans un accès de colère: ça s'appelle une violence conjugale. Et ça n'a rien de comique, c'est très grave.
Banaliser les violences conjugales, ce n'est pas moins grave, car ça invisibilise la souffrance de nombreuses femmes et familles, ça ramène leur douleur à quelque chose d'insignifiant, de risible.
Rappelons que c'est par honte que nombreuses sont les femmes qui n'osent pas dénoncer, le conditionnement à penser que c'est "pas si grave", que "c'est l'homme qui doit être maitre dans son foyer", est présent constamment. Invisibiliser et banaliser ces violences revient à dire que ce n'est pas grave, qu'au mieux c'est de la faute de la femme, qu'on peut échapper en toute impunité à ses responsabilités et la loi parce que "c'est un bon gars dans le fond".
Une telle banalisation n'est pas seulement indécente, elle est dangereuse.
Selon le site Mémoires Traumatiques et Victimologie "184 personnes sont décédées, victimes de leur partenaire ou ex-partenaire de vie (conjoint, concubin, pacsé ou ex-dans les trois catégories). De ce rapport il ressort que tous les deux jours en France, un homicide est commis au sein du couple. 156 femmes sont décédées en une année, victimes de leur compagnon ou ex-compagnon, 27 hommes sont décédés, victimes de leur compagne ou ex-compagne. 1 femme est tuée par son partenaire ou ex partenaire tous les 2 jours et demi, 1 homme tous les 14 jours. Les femmes sont les victimes dans 84,4 % des cas."
[Important: si vous êtes victime ou témoin de violences conjugales, appelez la police (17) et/ou le 39-19 (appel gratuit et anonyme). Pour plus de renseignements, cliquez ici]
Alors non, ce n'est pas anodin, et ce n'est pas drôle.
On peut décider de parler de ce sujet dans un film, pour le dénoncer, rien ne justifie la banalisation qui en est faite dans Nos Femmes.
Sur Twitter
Lorsque j'ai vu cette bande-annonce au cinéma, j'ai été choquée, au plus haut point. Et les gens dans la salle riaient, je me suis sentie si seule. Puis j'ai posté mon indignation sur Twitter.
De jour en jour, de plus en plus de personnes se sont indignées de concert avec moi, je me suis sentie moins seule.
Suivez la chronologie de cette indignation sur les hashtags #NosFemmes et #NotreRage.
J'ai compilé sur ce Storify mes tweets et retweets: Chronologie d'Une Indignation.
Comme je le suggérais sur Twitter, nous avons une solution: boycotter le film, le dénoncer, il y a cette pétition mise en ligne sur Avaaz, et propager notre indignation en dépit de celleux qui ne comprennent pas et veulent le défendre sous couvert de "on peut rire de tout", "si c'était un homme vous l'ouvririez pas", et autres "c'est pas le seul film qui parle de ça".
Les murs sont nombreux, mais pas indestructibles.
Alors ensemble, indignons-nous.
---
Edit du 12 mai 2015: retrouvez mon Storify cité sur cet article de Slate. Hashtag je suis fierté. 8)
Edit du 19/11/19: Je reviens juste sur cet article car il a énervé pas mal de monde, comme je m'y attendais au moment de son écriture. Mais je n'ai en tout cas pas pris la peine de réagir à ce moment là, parce que flemme et parce que autre chose à faire.
Je pose quelques lignes ici histoire de revenir là-dessus avec un peu de recul et parce qu'il me semble qu'il y a besoin d'une précision.
Il y a deux choses qu'on m'a reproché:
- "Ce n'est qu'une bande-annonce, pas le film, on peut pas critiquer un film qu'on n'a pas vu".
C'est tout à fait vrai, je suis même la première à dire qu'on ne peux pas juger un film à sa bande-annonce. Mais comprenez bien que ce que je critiquais, ça n'était pas le film, mais le propos du film, parfaitement clair dès la bande-annonce. On aurait pu ajouter toutes les nuances du monde que ça ne change en rien le fait que ce film s'amuse d'un féminicide, en faisant passer ça au même degrés que "ciel mon mari! cache toi dans le placard."
Dans ce contexte-là, on n'a pas besoin de l'entièreté du film pour comprendre l'indécence dans le traitement de ce sujet.
Ceci étant dit, je reconnais avec humilité que j'aurais dû voir le film avant - ou au moins préciser ce que je viens de dire. J'ai publié mon article deux jours avant la sortie du film, ma réaction était explicitement une réaction à la bande-annonce et une explication de pourquoi je n'avait pas l'intention de voir le film à sa sortie. Mais en faisant ça j'ai moi-même ouvert la porte aux critiques qui ne comprenaient pas mon sujet.
Je ne change pas d'avis mais j'aurais dû écrire ça autrement, et pas à chaud. Avec du recul, j'ai conscience que la façon dont j'ai écrit mon article n'était pas bonne, que je n'aurais pas du livrer à l'Obs l'article tel quel (j'ai paniqué XD).
- "Pour qui une bloggeuse se prend-elle pour censurer les gens par un appel au boycott vindiou?"
De deux choses l'une: un boycott n'est pas une censure (je n'empêche personne de voir ce qu'il veut, quand un groupe de personnes décide de ne pas voir un film, il n'empêche pas la diffusion de ce film), je n'ai pas "appelé" au boycott.
Dans mon article je dis deux choses: d'abord que je n'irai pas (ne suis pas allé) voir ce film, par ce qu'en mon âme et conscience ça me rendait malade de voir ça, et deuxièmement qu'une arme dont nous disposition pour signifier notre indignation était le boycott. Dit autrement: si en ton âme et conscience tu penses que ce film est malsain, la seule chose que tu puisse faire c'est de ne pas aller le voir - et éventuellement de dire pourquoi tu penses que ce film est malsain.
Si toi, lecteur, tu lis ça comme "je veux t'empêcher de voir ce film", c'est que tu as mal compris, que tu te sens attaqué, pour rien. C'est TA perception, pas mon message.
Pour finir, cette petite condescendance dans l'emploi du mot bloggeuse... ok. De ton point de vue je suis quelqu'un qui écrit sur un blog. Mais non en fait, moi, je suis une femme citoyenne, je ne suis pas limitée au fait d'écrire sur un blog. Mon indignation en tant que femme est valide, et ce n'est pas en tant que bloggeuse que je disais mon indignation mais en tant que femme.
D'autre part, en quoi être bloggeuse me ramène-t-il à un état d'infériorité et d'illégitimité? Qui est légitime à parler de boycott alors? C'est une vraie question. Si tu ne penses pas qu'un.e citoyen.ne soit légitime à s'indigner et à utiliser les seules armes dont il puisse avoir l'usage: qui l'est?
Je sais également qu'on a peut-être pu sans que je le sache me critiquer à coup de "héééé on peux plus rien dire, sjw, on peut rire de tout". Oui.
Tu peux rire de tout, et dire ce que tu veux. Mais c'est pas parce qu'on peut qu'on doit. Tu peux tout dire, mais si ce que tu dis est nuisible pour l'autre, il ne faut pas s'étonner du retour de baton. Tu as le droit de dire des choses offensantes, mais j'ai le droit de te répondre que ce que tu dis est offensant. J'ai le droit de te dire "ce que tu dis me blesse, parce que..." Comprenez bien qu'en ne répondant que des insultes et en fermant les débats à coup de "vous faites chier avec votre bien pensance", vous vous rendez coupables de ce dont vous nous accusez, à savoir de vous empêcher de vous exprimer. or ça n'est le but de personne ici.
Et si pour toi, tout ce que tu peux dire et rire de, ça se limite aux blagues misogynes, racistes, etc... j'aurais aucun scrupule à te répondre, en fait. Si on vous a laissé faire ces blagues de merde si longtemps c'est pas parce qu'elles étaient acceptables, c'est parce que les personnes que ces blagues moquaient n'avaient d'autre choix que de fermer leur gueule.
A part ça y'a largement de quoi rire, largement assez de choses que tu puisses dire sans blesser quelqu'un. Et par blesser j'entends vraiment "blesser", au sens le plus dur.
Il faut savoir faire la distinction entre "politiquement correct" et le fait de dénoncer des propos dangereux. Et je suis désolée mais bien souvent la différence, beaucoup de gens ne la font pas - d'un côté comme de l'autre. On n'est pas des SJW dès qu'on critique quelque chose, et on n'est pas un gros connard dès qu'on dit un truc un peu limite.
On gagnerait tellement à prendre le temps de s'écouter, parfois, avant de monter sur ses grands chevaux et rabaisser l'autre.
Personnellement, en tout cas, je continue de penser que ce film - plus précisément ce qu'en montre la bande-annonce - franchit la limite de la beaufitude, et avec quelques années de recul vous constaterez que ce film est de toutes façon tombé dans l'oubli parmi la myriade de films français vraiment nuls. J'ai partagé mon indignation à l'époque, c'était tout frais, mais on constatera aujourd'hui que la nullité du film (d'après ce que je constate par les chiffres) à fait le taf tout seul pour l'enterrer.
Les violences envers les femmes et les féminicides, en revanche, restent un problème majeur et trop peu observé - 134 femmes ont perdu la vie des coups de leurs conjoints cette année. C'est beaucoup. C'est ce genre de chiffre qui rend la blague très amère.
Je vais clore cet update avec ceci: